Digest de “Politiser le renoncement” d’Alexandre Monnin
Voici un petit article/digest suite à ma lecture de « Politiser le renoncement » d’Alexandre Monnin
J’entreprends la rédaction de cet article pour partager la richesse du contenu du livre, et au passage aussi pour mettre mes idées au clair parce que, justement, le contenu est tellement dense qu’on peut facilement passer à côté si on ne prend pas le temps d’une lecture attentive.
Vous l’aurez compris, ce livre est un livre assez technique, dont l’objectif principal ne semble pas être la vulgarisation mais le partage de la théorie et du cadre conceptuel de l’auteur.
Même si l’auteur est bien Alexandre Monnin, il apparaît par certains moments que c’est un travail collaboratif avec Diego Landivar et Emmanuel Bonnet du Origens Media Lab.
Il s’agit clairement d’un prolongement de son précédent livre « Héritage et fermeture ». Je ne l’avais pas lu et je pense qu’il est plus aisé de naviguer dans le livre quand on a déjà le bagage théorique quand on rentre dans la lecture de « Politiser le renoncement ».
Alors qu’y trouve-t-on ?
Un des principes-clés sur lequel il se base est la notion des communs négatifs, qui « s’attache aux problèmes soulevés par la gestion de certaines réalités dont les effets sont jugés négatifs, notamment dans le domaine environnemental, mais aussi d’autres éléments dont nous allons hériter à l’avenir et dont il va falloir prendre soin ».
On retrouve assez vite derrière ce principe un manière de d’englober les déchets ou diverses pollutions, comme les montagnes de plastique ou les émissions de CO2.
L’objectif de l’auteur, plusieurs fois explicité, est d’expliciter le cadre d’un projet collectif permettant de traiter le problème des communs négatifs en traçant une ligne de crête qui se situe entre un business as usual qui mène droit dans le mur d’un côté, et un arrêt brutal de la Technosphère de l’autre.
Alexandre Monnin s’attache à définir un certain nombre de concepts tout au long du livre comme les ruines, la viabilité ou les découpages spatiaux « Global/Terrestre/Planétaire » en s’inspirant de nombreux penseurs, comme Bruno Latour.
Ce qui m’a plu dans ce livre, c’est justement cette recherche d’une solution plus complexe, plus nuancée et surtout plus réaliste qu’un brutal retour en arrière. C’est éviter des raisonnements simplistes de type « si l’industrialisation a causé le changement climatique, la dé-industrialisation le résoudra ».
Sans essayer de tous les retranscrire, voici quelques points saillants qui m’ont étonné/marqué/intéressé :
A travers le concept de viabilité, il y a une interrogation saine sur la subjectivité de nos jugements sur ce que l’on choisit de garder ou non.
On va d’ailleurs plus loin en prenant soin d’insister sur la notion d’attachements de certaines populations aux communs négatifs et sur la nécessité d’inclure ce point dans tout renoncement. Un chapitre est dédié en complément pour préciser à quel point les travailleurs ont beaucoup à dire pour aider dans ce travail de redirection et de détachement/ré-attachement (“personne ne peut vivre sans attachements”).
A l’heure où certaines pratiques de pêche et d’agriculture participent indéniablement au désastre écologique, incorporer la viabilité, les attachements et les travailleurs (agriculteurs, pêcheurs, mais aussi tous les travailleurs des secteurs qui en dépendent) pour élaborer un projet de société qui passera par le renoncement de certaines pratiques et la fermeture d’organisations/structures paraît déterminant.
Le besoin de développer une culture de la fermeture est également très intéressant. Il évoque ainsi un biais dans le passage « de la prévalence de l’additif sur le soustractif », notre propension à davantage considérer ce qui s’ajoute que ce qui s’enlève. Il est plus aisé d’imaginer quelque chose d’existant avec des éléments en plus que des éléments en moins.
J’ai également aimé le passage autour de la maintenance. Tout d’abord parce qu’on peut choisir notre avenir en « refusant de réparer les systèmes technologiques lorsqu’ils tombent en panne ».
Et parce que cela fait sens pour moi de faire advenir un monde où l’on gère un vaisseau existant sans passer perpétuellement du temps à ajouter des features, des fonctionnalités…
Essayez de vivre dans une maison où vous ne faites qu’ajouter des choses sans assurer la maintenance et l’entretien !
J’ai découvert le luddisme épistémologique, principe élaboré par Langdon Winner, qui est une « méthode consistant à démanteler soigneusement et délibérément les technologies » ; « une façon de se réapproprier la substance enfouie sur laquelle repose notre civilisation ».
Alexandre aime dans cette approche l’aspect expérimental, sous forme d’enquête. L’idée est qu’on ne peut déterminer avec certitude ce qu’il va se passer à la fermeture d’un ensemble de structures de la Technosphère, justement parce que nous n’avons pas développé la culture du renoncement. Il convient alors d’apporter une démarche anticipée, non brutale qui va prendre soin à observer les résultats des fermetures pour construire cette culture manquante.
On est là sur une philosophie qui part du terrain et donc assez empirique.
La politisation du renoncement ne se fera pas, le rappelle-t-il, sans lutte, car des ruines anticipées par le « mauvais capitalisme » seront utilisées pour maintenir une forme de statut quo. Exemple des stations de ski : attend-on que des investisseurs mal intentionnés utilisent la fin annoncée de la neige pour s’orienter vers un nouveau tourisme de masse, ou en profite-t-on pour ré interroger la fermeture anticipée de ces communs négatifs en vue de construire une alternative ?
Cette politisation est intégrée dans l’approche de « la redirection écologique (qui) prétend se distinguer de la croissance verte, du développement durable, de la RSE, des critères ESG ou de la transition écologique par son insistance sur la nécessité d’opérer des arbitrages ».
Ces derniers doivent être démocratiques, anticipés, non brutaux (doivent prendre en compte les attachements), adaptés aux circonstances.
Politiser le renoncement, c’est finalement s’inscrire dans une forme de sobriété spécifique dont un des enjeux est de mettre en avant la dimension d’enrichissement nommée ici « suffisance intensive ».
Comme vous aurez pu le constater à travers ces quelques lignes, le contenu est dense et les apports et références théoriques nombreuses.
Pour reformuler ce que je retiens de ce livre et la pensée d’Alexandre Monnin telle que je peux me la représenter simplement :
En attendant de développer une nécessaire culture de la fermeture et du renoncement, il faut opérer des arbitrages démocratiques, anticipés, non brutaux pour choisir ce que l’on va arrêter de maintenir, en prenant soin aux attachements des populations vulnérabilisées par ces choix.
Cela doit nous permettre d’atteindre une forme de sobriété, dont la suffisance intensive est un élément-clé, nous permettant de cesser le business as usual, tout en évitant toute mesure autoritaire qui pourrait verser dans une forme d’écologie fascisante, discriminant un pan entier de la population.