Immersion dans “Une écosophie pour la vie” de Arne Naess #1
Cet article s’adresse à vous, lecteur, qui vous dites « Ouais, ce serait super de lire un bouquin d’un penseur de l’écologie » mais qui vous reprenez aussitôt en prenant le bouquin en main « Euh, ça a l’air bien hein, mais c’est un poil long, et puis y a pas d’images, et puis j’ai poney ».
Après vous avoir partagé plein de lectures, de liens, de vidéos super pour découvrir les enjeux environnementaux dans deux articles ici et ici, je m’suis dit : et si je vous embarquais pour un tour plus poussé dans une œuvre ? Histoire de moins survoler et davantage approfondir.
J’avais deux possibilités :
- Une écosophie pour la vie, de Arne Naess. Illustre norvégien qui n’a pas inventé l’omelette mais l’écologie profonde. Ca claque plus, mais pour la notoriété, l’omelette reste imbattable.
- le résumé technique du rapport du groupe 1 du GIEC. Contenant des phrases du type « il est plus probable qu’improbable que la variabilité interne du climat à court terme renforcera plutôt qu’elle ne contrebalancera le réchauffement en surface qui devrait découler d’une augmentation du forçage anthropique ».
Bande de veinards, j’ai donc choisi la première possibilité !
Et pour que l’immersion soit totale, je vous propose cette plongée à travers 3 articles selon votre niveau de motivation et votre temps disponible : le 1er pour découvrir les 2 principes fondamentaux de l’écologie profonde, le 2e pour découvrir les 6 autres principes et le 3e pour aller au-delà dans “l’écosophie” de Arne Naess !
Tout d’abord, pourquoi diantre ai-je voulu lire « Une écosophie pour la vie » ? (alors que j’ai encore un San Antonio non lu dans ma bibliothèque et un puzzle de 4000 pièces qui attend que je m’occupe de lui)
Déjà parce que l’écologie peut sembler une injonction de choses à faire et ne pas faire (j’espère que l’écologie sera pour vous bien plus à la fin de ces articles !). Ne pas prendre l’avion et la voiture, manger local, ne pas manger d’entrecôte, cultiver ses tomates, faire pipi sous la douche et tant d’autres.
Mais pourquoi devrait-on faire toutes ces choses ? Pour sauver l’Homme ? Les animaux ? La Planète ? Pour se sauver soi parce que c’est bien d’être quelqu’un de bien ? Et voilà, on atterrit sur un chemin un peu plus philo… Voilà donc ma première raison : j’ai ressenti le besoin de lire ce que pensent les grands manitous et penseurs de l’écologie pour me faire ma p’tite idée. Histoire de savoir, au fond, pourquoi j’ai envie d’être écolo. Et quel type d’écolo, parce qu’on va découvrir qu’il y a plein de sortes d’écolos ! Et ils aiment d’ailleurs bien se tirer dans les pattes.
La seconde bonne raison d’écrire sur ma lecture de Arne Naess, c’est que c’est lui qui me l’a conseillé page 96 : « Je pense que les êtres humains sont toujours en chemin, qu’ils ne savent jamais précisément où ils vont, et qu’ils ont le droit de s’exprimer tout au long de leur cheminement, quel que soit leur talent ».
Pour mettre les choses au clair, je n’ai pas fait d’étude de philo — ma plus grande gloire reste d’avoir atteint le 10 au bac à cette épreuve — et je n’ai pas vraiment l’habitude de lire du Kant ou du Nietzsche avant de me coucher.
Donc on va le jouer accessible, trankilou-bilou quoi.
Commençons par ce que sa pensée a laissé de plus notable : la philosophie de l’ « écologie profonde ». Et puis bon, accessoirement, le sous-titre du bouquin est « Introduction à l’écologie profonde ».
Cette écologie, il l’oppose à « l’écologie superficielle ». On sent déjà un petit jugement de valeur, non ? La description et distinction des deux est à peu près aussi partiale qu’un arbitre marseillais dans un match Paris vs n’importe-quelle-ville-du-monde. Du type : il y a deux écologies : la mauvaise et la super bonne qui s’occupe vraiment d’écologie. Vous êtes plutôt quoi ?
En un peu plus argumenté — parce qu’avec ça, vous en avez pas encore assez pour briller en société : l’écologie superficielle, c’est l’écologie anthropocentrée, c’est-à-dire celle qui se soucie de la Nature pour l’unique raison qu’elle est utile à l’Homme. Donc orientée sur le seul objectif de « santé et d’abondance matérielle des populations dans les pays développés ».
A cette écologie superficielle, il oppose donc l’écologie profonde basée sur 8 points (que vous pourrez retrouver sur Wikipédia ou toute page se réclamant de l’écologie profonde), que je vous propose de découvrir et de commenter.
1 Tous les êtres vivants possèdent une valeur intrinsèque
Si c’est vivant, on respecte. Baleine, moustique, homme, galinette cendrée, même combat. Dit dans les termes d’Arne Naess, cela revient à avoir un « respect profond, voire une vénération, pour tous les modes de vie ». Pour lui, toutes les formes de vies ont une valeur intrinsèque, indépendamment de si elles sont utiles à l’Homme ou non. C’est bien là un point clé de l’écologie profonde qui permet de se distinguer de l’écologie superficielle. Cette idée se rapproche d’une autre, utilisée dans le livre : « l’égalitarisme biosphérique ».
Personnellement, je rapproche un peu cette sensibilité de Levi-Strauss, certes sur l’écologie plutôt que l’anthropologie : gardons-nous de juger l’altérité, que nous ne pouvons de toutes façons pas comprendre ; au contraire, observons-la et enrichissons-nous d’elle. On pourrait ainsi voir l’écologie comme une extension de ce que l’anthropologie a apporté.
Ce principe d’égalitarisme déclenche même « l’enthousiasme » de Arne pour « la diversité et un refus de considérer que certaines formes de vie sont supérieures à d’autres ». Ma chérie a, je crois, mal rendu hommage à Arne en utilisant le livre en question pour aplatir un moustique qui la dérangeait…
2 La richesse et la diversité de la vie possèdent une valeur intrinsèque
En gros, plus y en a, mieux c’est. Comme il explique ses idées mieux que moi, je reprends ses termes utilisés pour le vivant humain : il s’agit de « privilégier la diversité des modes de vie humains, des cultures, des activités, des économies » car « la diversité augmente les potentialités de survie, les chances de développement de nouveaux modes de vie, la richesse des forme de vie. »
Sur l’idée de diversité, c’est quelque chose qu’on retrouve également beaucoup dans les milieux écolo aujourd’hui à travers la biodiversité, mais également dans les milieux collapso (les gens qui aiment parler d’effondrement, dont je fais un peu partie) où la diversité est souvent considérée comme une nécessité à la résilience. Ce qui est plutôt logique : un seul système tout connecté de partout, dès qu’il a un truc qui va pas, ça le fait chuter en entier. Par exemple… par exemple comme si toutes les composantes d’un monde s’étaient rendues interdépendantes et que du coup, un petit virus à un endroit de ce monde pouvait atteindre le monde entier… hum. Vous voyez ?
Ce qui est intéressant car spécifique à l’écologie profonde, c’est que la diversité n’est pas recherchée pour une raison particulière. Au-delà de tout ce qu’elle peut nous apporter, la diversité mérite d’être célébrée pour ce qu’elle est et non ce qu’elle servirait.
Une idée complète ce principe dans le livre : s’appuyer sur le principe de symbiose, qu’il trouve sous-estimé aujourd’hui. « Depuis Darwin, de nombreux penseurs (certes en partie marginalisés, comme Kropotkine et d’autres) ont mis l’accent sur l’importance évolutive de la symbiose ».
Cette idée est largement développée dans le génial livre « L’entraide : L’autre loi de la jungle » de Servigne et Chapelle. En (très très) gros, on nous invite à oublier cette vision de Hobbes qui considère que l’homme est par nature méchant, qu’heureusement il y a des institutions pour éviter que tout le monde se tape dessus — un monde de la compétition, pour considérer l’entraide, la symbiose comme des composantes vitales et inhérentes de la Nature et ce, depuis la bagatelle de quelques millions d’années.
Voilà pour ces premiers pas dans l’écologie profonde. Si vous voulez découvrir les autres principes et que vous avez 4 minutes devant vous, je vous donne rendez-vous dans cet article !