Sur la piste animale

Stephane Kersulec
4 min readApr 22, 2021

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Après « Raviver les braises du vivant » que j’avais littéralement adoré que ce soit sur la forme et sur le fond, j’ai eu envie de transformer l’essai en tentant un nouveau Baptiste Morizot.

C’est chose faite avec « Sur la piste animale » (éditions Actes Sud), et je suis conquis par cet auteur !

Sa plume est vraiment hyper agréable, son style est fluide, sa pensée déroule claire comme de l’eau de roche et avec humilité. Pas de formule péremptoire mais la construction d’une pensée progressivement qu’on suit pas à pas avec lui.

« Sur la piste animale », c’est un livre dans lequel Baptiste Morizot nous partage sa passion du pistage : piste le loup en Provence, le grizzly dans le Yellowstone, la panthère des neiges au Kirghizistan et pour finir magistralement : le lombric dans le lombricomposteur !

Mais ce qui est magnifique avec l’auteur-philosophe, au-delà de ses récits captivants, c’est que toute activité et toute action se voit mise en perspective de son sens métaphysique et philosophique.

On ne va plus dans la nature (puisque Descola nous a montré que cette simple expression charriait avec elle les déboires écologiques actuels), mais on va au grand air, on s’enforeste.

On ne fait pas que suivre un animal, on entre en lui pour comprendre ses « invites » (les stimuli du monde extérieur qui vont faire réagir cet animal spécifiquement) et on pratique ainsi un pistage perspectiviste.

On ne traque pas, on établit une géopolitique avec l’invisible en s’essayant à imaginer un tout autre rapport au vivant. Un rapport où l’Homme est pisteur et pisté, donc partie intégrante du monde vivant.

L’apothéose, c’est l’hypothèse, séduisante et convaincante, que le pistage est ce qui a fait Homo Sapiens. Le passage de primate frugivore à un bipède omnivore a forcé le pistage, et donc toutes les caractéristiques physiques (endurance, diminution de pilosité…), cognitives (raisonnement logique, interprétation…) et même affectives (prendre du plaisir dans la recherche/quête plus que dans le résultat…) et sociales (pister en groupe, c’est échanger, débattre, convaincre…) associées qui feront de cet animal… un Homo Sapiens !

Loin de n’être qu’une activité de reconnexion à la « nature », pister est donc une pratique qui nous permet de nous relier à ce qui fait profondément de nous des Hommes. Vertigineux !

Je ne peux m’empêcher de vous laisser avec un florilège de phrases issues du livre qui reflètent cet esprit. Ce ne sont que quelques pépites au milieu d’une mine de pensées bien formulées.

« Il me semble que ce qu’on voit quand on pressent qu’on voit par les yeux d’un autre animal, c’est ce que son corps lui-même voit, au sens perspectiviste, c’est-à-dire ce sont ses affordances elles-mêmes. C’est-à-dire les « invites » de son corps spécifique. »

« être néo-naturaliste revient simplement à être un naturaliste au sens des pratiques de Darwin [observation curieuse du vivant], libéré du naturalisme au sens de Descola [conception du monde est essentiellement une matière inerte privée d’intériorité]. »

« Exister en vivant humain demeure à mes yeux une énigme, mais cette énigme est plus claire, plus riche et plus vivable au contact des énigmes que sont les autres vivants »

« Pister restitue ici cet état intérieur devenu rare : l’état d’alerte, d’attention flottante et amoureuse à l’égard de l’imprévu. A l’aube, partir juste pour rencontrer, sans savoir qui ni quoi. C’est un nom possible pour la vie »

« Le pistage n’est que le nom de l’attention aux marques visibles des dedans invisibles des autres formes de vie, de leur manière d’être vivants »

« « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie », dit Pascal. (…) ce n’est pas de notre mortalité, ou du sentiment d’absurde dans un cosmos muet, dont il faudrait se « divertir », mais du silence d’un monde vivant transformé en réserve de choses muettes et de ressources à portée de main. Le silence de l’univers (…) [est] un effet tardif de la perte de contact avec nos communautés écologiques. (…) Autrement dit, ce n’est pas l’univers vivant qui est muet : c’est nous qui ne savons plus l’entendre ni le lire »

« Homo sapiens est le produit complexe de coévolutions avec les espèces qu’il a côtoyées dans la trajectoire évolutive qui fut la sienne »

« Rien ne peut exister sans laisser de traces » [phrase répétée à plusieurs reprises tout au long du livre]

« dans le pistage, on assiste à la levée potentielle d’aptitudes cognitives décisives, qui tournent autour de la puissance à voir l’invisible »

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